Invité par mon ami TiTchou en début d'année pour son anniversaire, je m'étais préparé à le rejoindre en lui achetant un magnifique cadeau, un sensationnel rasoir avec ses accessoires les plus perfectionnés : levier de marche arrière anti-moustache, point mort pour personne imberbe, chenillettes pour visages ravagés, et clignotants pour les changements de joues.
Si dans un premier temps je jubilai à l'idée de prendre l'avion, je dus me rendre à l'évidence, les compagnies aériennes ont quelquefois du personnel douteux.
L'aéroport de Futiland étant en travaux, je me rabattis donc sur celui de Flamboy, où après avoir cédé aux contrôles d'usage, je me rendis à l'aire d'embarquement.
..................................
Je remarque tout de suite le Boeing-Dacia Logan 747 de la Flamboy R-Lines... il est le seul avion de l'aérodrome !
Au sommet de la passerelle, assise sur un tabouret de bar, et tricotant une huche à pain, l'hôtesse m'attend. Sur un badge son prénom : Lina. Ses bons yeux humides de gentillesse béate me donnent envie de la frapper. Plus elle lit dans mes yeux des éclairs meurtriers, plus son regard s'humidifie, et plus sa gentillesse se fait moite.
'' - C'est à quel sujet ? ''
Impossible de me retenir :
''- Et ça, qu'est-ce que c'est ? '' Dis-je en lui tendant mon billet '' C'est une tranche de jambon de Bayonne ? Et ici, c'est pas un avion ? C'est le musée Grévin ? »
Et la voilà qui glousse :
''- Oh ben vous, alors, vous êtes un gosse qu'est pas du coin !''
Comme elle s'arrête de tricoter et qu’apparaît dans ses yeux un regain de sympathie admirative à mon égard, je préfère couper court à notre entretien avant de l'étrangler.
Dans la cabine il n'y a pas grand monde : un pingouin qui joue les alpinistes en grimpant sur les épaules d'un trappeur pour ranger son nécessaire de couture au dessus de son siège, un chien du roupettes-show qui frime avec ses Raies-Bandent, et dans le fond, un steward en train de relier les points numérotés du dessin secret à découvrir soi-même dans la rubrique « Jouons avec Onc'Donald ».
Le steward tire la langue de temps en temps. Une petite goutte de bave coule de sa bouche et vient délayer le crayon gras. Je me penche sur son épaule et le questionne.
''- C'est quoi ?
- Je sais pas, je me suis trompé.
Effectivement, le dessin représente un gribouillis informe avec de beaux reliefs de gomme et de bave mélangées. Le steward n'interrompt pas sa tentative de joindre d'un trait tordu le numéro 18 avec le numéro 37, et je me prends à suivre avec anxiété le bout hésitant du crayon qui, après circonvolution, rate le 37 pour aller finir au 14.
'' - Oh je me suis encore trompé !'' dit-il en prenant sa gomme et en donnant de grands coups sur la page d'à côté.
'' - Vous vous occupez des passagers de temps en temps ?'' dis-je.
'' - Oh oui alors ! Pour ça on peut dire que je m'en occupe souvent des clients'' dit-il en gommant rageusement la page d'en dessous parce que la première est déchirée.
''- Alors vous pouvez peut-être vous occuper de moi ?
- Pourquoi ? Vous vous êtes trompé vous aussi ?'' demande t-il en prenant mon billet et en commençant à le gommer.
'' - Mais non ! Espèce d'abruti ! Je veux savoir où est ma place, c'est pas compliqué !''.
Le steward me regarde (c'est à ce moment là que je m'aperçois qu'il louche et qu'il est indiqué sur son badge qu'il s'appelle Biglenbiais), réfléchit intensément, puis me fait signe de le suivre.
Il m'amène vers la queue de l'avion et ouvre la porte des toilettes.
''- C'est là !'' me dit-il avec un bon sourire d'ahuri.
A mon expression il doit comprendre que je ne suis pas content, surtout à cause du tic qui m'agite la mâchoire inférieure, car il prend un air sincèrement navré, et des larmes perlent de son regard décroisé.
Il gémit :
'' - Vous ne voulez pas aller aux toilettes, hein ? C'est toujours comme ça. Moi je ne connais que les toilettes dans l'avion, alors c'est la seule chose que je peux indiquer aux gens, et c'est toujours autre chose que les gens me demandent. C'est vrai quoi, je ne suis pas le steward moi après tout !''
N'en pouvant plus je lui mets un coup de boule entre les jambes, là où ça fait le plus mal.
'' - Alors si t'es pas le steward, t'es quoi ?''
Il sanglote :
'' - Je suis le pilote !''
Je lui frapperais bien la tête une nouvelle fois, mais une poigne de fer m'en empêche. Je me retourne et fais face au trappeur.
'' - Vous avez pas bientôt fini de taper le commandant Biglenbiais ? Et d'abord : montrez-moi votre billet !''.
Je soupire. Lui, ça doit être du genre bête et méchant, et c'est plus calmant. Je lui tends mon billet.
'' - Je m'en doutais... vous avez un billet pour voyager, mais pas pour frapper le commandant.
- Pourquoi ? Vous vendez des billets pour le frapper ?
- Bien sûr !''.
Et il sort un petit carnet à souche sur lequel je peux lire : Vol 2541 Flamboy – Titchouland par Oslo.
Agression du Commandant. Bon pour 3 minutes.
'' - Mais si on frappe le commandant, qui va piloter l'avion ?''
Le trappeur rigole, alors que le pilote est retourné en pleurnichant à son dessin et à son crayon, et en me montrant le « dessinateur » il me dit :
''- De toute façon à la vitesse où il fait son plan de vol, on n'est pas encore partis !''.
Dans le couloir central, l'hôtesse de l'air Lina essaie de nous montrer le fonctionnement du gilet de sauvetage, mais comme elle a une chasuble d'enfant de chœur à la place du gilet, elle cherche vainement la goupille de gonflage dans les dentelles, le tout dans un concert de gloussements horripilants.
Le pingouin se porte à son secours et disparaît dans les froufrous, entraînant l'hôtesse dans sa chute, avant de hurler sous les coups d'ongles de l'éperdue qui vient de confondre le zizi du pingouin avec la goupille.
L'avion commence à rouler.
Je demande au trappeur : '' - Il a réussi à faire son plan de vol ? '' en désignant le pilote assis en tailleur dans l'allée centrale, toujours plongé dans son gribouillis.
'' - Pensez-vous, c'est le cabot qui s'est levé pour pisser, et en levant la patte il a pressé sur le démarreur par inadvertance. Vite ! Aidez-moi à porter le pilote aux commandes !''.
Nous portons le commandant jusqu'à son poste de pilotage. Il ne nous prête pas attention, occupé par son cent vingt-huitième essai à relier le 18 au 37.
Quelques instants plus tard l'avion s'immobilise dans un champ de cannabis, caché derrière une toile cirée en bout de piste, et ils prennent tous la fuite
Avec tous ceux que je vais dénoncer aux gendarmes, j'espère obtenir la Légion d'Honneur, et je la montrerai à tout le monde à Futiland.